Lettre de liaison :

Situation actuelle de l'occitan

Une langue minoritaire enfin reconnue mais qui n'a pas assez de moyens de transmission.

1. Une langue minoritaire

L’occitan s'est sauvé jusqu'à présent de plusieurs condamnations, des humiliations et des privations... de droit, de statut, d'école, de médias... Langue du quotidien, elle l'est aujourd'hui seulement pour une minorité des habitants d'Occitanie. Langue majoritaire en 1900 en Pays d'oc, elle y est aujourd'hui langue minoritaire et la pratique continue de reculer. C'est dans les zones rurales qu'elle est utilisée le plus régulièrement, mais par de vieux locuteurs, souvent « occitans sans le savoir », qui la transmettent très peu. En ville, l’occitan est en train de revenir un peu (universités, écoles, cours publics, manifestations culturelles de toutes sortes...) mais cela ne compense pas la perte de locuteurs. L'occitan est considéré par l'UNESCO comme en danger de disparition.

Il n'existe pas de chiffres fiables sur le nombre de locuteurs et leur compétence (actifs, passifs...) pour l'ensemble occitan. La fourchette des sources va pour la France de 110 000 à 3 millions. L'INED (Institut National d'Études Démographiques) considère, en s'appuyant sur son enquête de 1999, que 1,6 million de personnes, soit environ 12 % de la population de la France d'oc, a un « lien » avec l’occitan, notion très floue, et que 610 000 locuteurs l'utilisent régulièrement. Il faut ajouter les occitanophones du Val d'Aran en Espagne et des Vallées occitanes d'Italie.

Les enquêtes de certaines collectivités territoriales apportent des précisions, font voir des évolutions négatives, mais également de l'espoir avec une prise de conscience de la valeur de ce patrimoine et un intérêt pour sa transmission.

Régions et sources
% de personnes qui comprennent plus ou moins
% de personnes qui parlent (%)
 
Val d’Aran : recensement, 1991
92,3
60,9
 
Val d’Aran : enquête, 2008
78,2
56,8
 
Languedoc-Roussillon : enquête par tel, 1991
48
28
 
Languedoc-Roussillon : entretiens, 1997
34
19
 
Aquitaine : enquête, 1997
53
12
 
Aquitaine : enquête 2008, 6 002 personnes
44
9
 
Auvergne : enquête IFOP, 2006
61
42
 
Midi-Pyrénées : 2010, par tel, 5 000 personnes
50
12
 

 

Aujourd'hui la menace de disparition s'accompagne d'une meilleure perception et d'un mouvement de sympathie. L'usage recule mais l'image s'améliore et les prises de position en faveur de l’occitan, comme des autres langues minoritaires, se multiplient à tous les niveaux, international, européen, national et régional.

Des données des enquêtes menées en Aquitaine et Midi-Pyrénées sur les pratiques et représentations de l’occitan montrent qu'une majorité des personnes interrogées formulent, même si c'est à des niveaux différents, un intérêt pour l’occitan.

Niveau d'intérêt, en % des personnes interrogées
Aquitaine 2008
Midi-Pyrénées 2011
 
Les « partisans »
16
22
 
Les « attachés à la culture »
32
32
 
Les « ouverts » favorables mais sans intérêt personnel
39
34
 
Les indifférents
12
1
 
Les « réfractaires »
10
2
 

 

Crotz occitana

Fresque murale de
Pierre Verzac (Toulouse)

On peut noter également avec l'enquête menée par le Conseil régional de Midi-Pyrénées que si l'usage diminue, la volonté de maintenir l’occitan s'affirme. 62 % des occitanophones interrogés disent qu'ils utilisent de moins en moins l’occitan et ils ne sont que 4 % à l'avoir transmis en le parlant régulièrement à leurs enfants, mais 75 % trouvent intéressant de protéger l’occitan et pensent qu'apprendre l’occitan est plus un signe d'ouverture que d'enfermement.

 

2. L'occitan est aujourd'hui plus ou moins reconnu dans sa dignité de langue par les constitutions

  • Depuis le 23 juillet 2008, la Constitution de la République française stipule dans l'article 75-1 du chapitre sur les collectivités territoriales : « Les langues régionales appartiennent au patrimoine de la France ». Cet article, purement déclaratif et sans portée juridique, ne donne aucun droit particulier mais implique bien une responsabilité partagée entre l'État et les collectivités et pourrait bien servir, pour un gouvernement un peu volontariste, à la mise en oeuvre d'une véritable politique de sauvegarde et de transmission.
  • En Italie, l’occitan est reconnu par l'article 6 de la constitution et une loi de 1999 pour les minorités linguistiques, mais, par un arrêté, l’occitan, le sarde et le frioulan sont passés du statut de langues à celui de « dialetti ».
  • C'est en Val d'Aran que l’occitan a le meilleur statut. La loi de 1990 de régime spécial du Val d'Aran reconnaît l’occitan (aranais) comme langue (co)officielle en Aran. En 2006, le nouveau statut de Catalogne a fait de l’occitan la troisième langue officielle de Catalogne. Le 22 septembre 2010, le parlement de la Generalitat de Catalogne a voté la « Loi pour l'occitan, aranais en Aran ».

Vòte de la lei de l'occitan, aranés en Aran

Vote de la « Loi de l'occitan, aranais en Aran » au parlement de Catalogne le 22 septembre 2010 (photo : Generalitat de Catalogne).

3. La transmission par l'enseignement progresse bien trop doucement

Depuis 1951 les portes de l'enseignement sont progressivement ouvertes à diverses possibilités d'apprentissage. Il faut mentionner la publication et la mise en oeuvre des circulaires dites Savary de 1982 et 1983. Pour l'enseignement primaire de l’occitan, en deux ans, 18 postes spécifiques ont été attribués aux académies de Bordeaux, Montpellier, Nice et Toulouse.

Autres pas importants :

  • la création du CAPES d'occitan-langue d'oc en 1992
  • celle du concours spécial de recrutement de professeurs des écoles de et en langues régionales en 2002
  • les circulaires assez volontaristes de 2001-2003 (Lang-de Gaudemar)
  • la loi « d’orientation et de refondation de l’école » de 2013. Dans le projet initial, les langues régionales n'étaient quasiment pas mentionnées, mais les élus ont nourri le débat et obtenu finalement une amélioration plutôt bonne de la loi et du Code de l'éducation (légitimation et valorisation de ce qui peut se faire). Lire le texte de loi.

Il faut bien dire cependant que sur le terrain, rien n'a encore beaucoup changé. La régression des moyens et des possibilités des années 2003-2010 reste une menace pour l'avenir (ex : baisse du nombre de postes au CAPES, suppression des postes d'animation, suppression d'options facultatives de langue régionale dans le cursus des enseignants et dans la réforme de certains baccalauréats, dévalorisation à certains examens…).

Les progrès, réels mais limités, constatés dans certaines zones sont dus à la mobilisation de parents, d'enseignants, d'élus et d'associations mais également à la mise en oeuvre, dans trois régions, de conventions de développement entre l'État et les collectivités territoriales.

Les chiffres de l'enseignement :

Cela peut étonner, mais les chiffres de l'enseignement de l’occitan ne sont pas très fiables en France, surtout si l'on cherche des évolutions. Les définitions des formes d'enseignement changent dans le temps et selon les académies et le recueil de données comparables et cohérentes n'est pas facile à faire.

Déjà en 1982, à la veille de la publication des circulaires Savary, le ministère expliquait que « la mesure statistique de l’enseignement des langues régionales présente des difficultés et des incertitudes » et qu'il fallait attendre « une mesure statistique rigoureuse ». Depuis, les choses ne se sont pas vraiment améliorées. Il n'existe pas encore de « mesure statistique rigoureuse ».

Le point précis fait en 1987 par le Ministère a l'occasion de la réunion du « Conseil National des langues et cultures régionales » peut servir de point de départ, même s'il y a quelques incohérences dans les données.

Nous pourrions avoir des chiffres assez fiables pour le secondaire tous les deux ans, quand le Ministère fait son enquête, mais curieusement il n'en publie pas souvent les résultats... Il n'y a que pour l'enseignement bilingue public et immersif associatif que les données sont régulières et fiables. Pour les autres formes d'enseignement dans le primaire, les modalités en sont très diverses et d'une académie à l'autre, les chiffres ne sont pas faciles à comparer et peu sûrs.

Effectifs d'élèves qui suivent un enseignement d'occitan (toutes formes d'enseignement en France) :

Année
École
Collège
Lycée
Secondaire
Total
 
1981-1982
9 730
-
-
-
-
 
1982-1983
11 382
6 364
5 984
12 348
23 730
 
1983-1984
11 382
6 364
5 984
12 348
23 730
 
1984-1985
13 200
88 96
6 397
15 293
28 493
 
1985-1986
49 980
9 263
5 715
14 978
64 958
 
1986-1987
53 657
6 720
6 199
12 919
66 570
 
1987-1988
54 519
-
-
-
-
 
1991-1992
62 597
-
-
9 270 (douteux)
71 867
 
1992-1993
-
-
-
-
90 400 (douteux)
 
1995-1996
60 746
-
-
-
-
 
1996-1997
55 351
9 753
4 770
14 523
69 874
 
2001-2002
48 299
15 506
3 744
19 250
67 549
 
2003-2004
57 297
17 617
3 855
21 472
78 769
 
2007-2008
-
20 205
4 187
24 392
-
 
2009-2010
-
19 758
3 722
23 480
-
 
2011-2012
-
-
-
-
62 000*
 

* chiffre issu du MEN, donné dans le rapport du « Comité consultatif pour la promotion des langues régionales et de la pluralité linguistique ».

Source : Chiffres partiels de toute sorte sortis du Ministère de l'Éducation de France

Remarques sur les chiffres : certaines évolutions brutales d'une année sur l'autre peuvent être le fait d'une réforme, d'un changement dans la manière de recueillir les données, d'erreurs... Certains chiffres, visiblement trop incohérents, n'ont pas été retenus.

Les chiffres de l'enseignement bilingue et immersif en occitan dans le primaire sont plus fiables

Année
Bilingue public
Immersif Calandretas
Bilingue confessionnel
Total
 
2010-2011
3 873
2 775
-
6 648
 
2011-2012
3 947
2 928
-
6 875
 
2012-2013
4 167
3 168
-
7 335
 

 

L’académie de Toulouse et celle qui a l'effectif le plus élevé d'élèves qui apprennent l’occitan. Il faut dire pourtant que, même ici, il y a à peine 10 % des élèves qui suivent, sous des formes diverses, un enseignement d’occitan (29 190 en 2014), ou de sensibilisation (39 700 en 2014). En 2009, 0,91 % des élèves du premier degré de l'académie de Toulouse étaient scolarisés en bilingue public et immersif associatif. En 2012 ils sont 1,20 %. Il faut dire que l'enseignement de l’occitan est sinistré dans les académies du Nord de l'Occitanie. C'est en Val d'Aran que l'occitan a le plus de place à l'école. Il y est langue d'apprentissage et langue véhiculaire. Par contre l'occitan n'a pas, pour ainsi dire, du tout de place dans les écoles d'Italie…

Académie de Toulouse : Évolution du nombre d'élèves qui bénéficient d'un enseignement de l'occitan de 2007 à 2014

Nature de l’enseignement
2007 - 2008
2008 - 2009
2009 - 2010
2010 - 2011
2011 - 2012
2012 - 2013
2013 - 2014
 
Primaire : bilingue public à parité horaire
1 767
1 787
1 897
2 135
2 352
2 604
2 901
 
Primaire : immersif associatif (Calandretas)
599
646
669
711
744
771
853
 
Primaire : initiation, enseignement


28 278


33 754


36 290


36 646
8 824
12 591
13 000
 
Primaire : sensibilisation
 
 
 
 
31 486
36 355
39 700
 
Secondaire : Collèges et lycées publics et privés
11 764
12 025
11 724
11 740
11 912
12 432
12 436
 
Total
42 407
45 779
50 580
51 232
55 318
64 753
68 890
 

Source : Conseil académique pour l'enseignement de l'occitan

Dans les universités de France, l’occitan a trouvé une place, mais il n'y a qu'à Montpellier et Toulouse qu'est proposé un cursus complet. En Espagne, il existe pour le moment des études de recherche à Barcelone et à Lleida. Il y a aussi l’AIEO, (Association internationale d’études occitanes), assemblée de chercheurs du monde entier qui, dans le cadre de l'étude des langues romanes, s'occupent de la langue et la littérature occitane. Ils organisent un grand congrès tous les trois ans.

L’occitan donne du travail et une bonne image pour vendre

Il y a aujourd'hui des personnes qui gagnent leur vie grâce à leurs compétences en occitan, notamment dans l'enseignement, mais également dans d'autres secteurs. Dans l'enseignement public, il y a 201 professeurs certifiés d’occitan et les professeurs des classes bilingues. Les Calandretas, elles, emploient 400 personnes.

En 2011, le Servici de l’Emplec de l’Institut d’Études occitanes a répertorié 160 offres dont 71 % venu de l'enseignement. Et oui, même l'Éducation nationale, qui manque d'enseignants, passe à présent par le « Pòl emplec ». Il faut dire aussi que deux Régions, Aquitaine et Midi-Pyrénées, ont mis en place des bourses pour encourager les étudiants à faire des études universitaires d’occitan et passer les concours de l'enseignement pour devenir professeurs d’occitan. Qui aurait pu le croire il y a vingt ans !

L’occitan est aujourd'hui employé dans la communication commerciale pour donner une bonne image d'un produit ou d'une entreprise. On le voit sur des panneaux publicitaires et des étiquettes où il sert de symbole d'enracinement et de qualité. Il existe un label pour valoriser l'emploir de l’occitan dans la vie économique et même certains supermarchés commencent à l'utiliser.

Des collectivités territoriales commencent à assurer leurs responsabilités et prennent de plus en plus d'initiatives

  • Midi-Pyrénées, Aquitaine et Languedoc-Roussillon ont signé des conventions avec les rectorats pour le développement de l'enseignement de l’occitan et mis en place des « Amassadas » où l'on discute des politiques linguistiques. Dans ces trois régions, il y a également aujourd'hui un représentant des langues régionales dans le CESER (Conseil économique, social et environnemental régional), assemblée qui représente la société civile.
  • Rhône-Alpes s'intéresse aussi à présent à ses langues. En juillet 2009, elle a voté une délibération en leur faveur et au printemps 2012, elle a organisé pour la première fois des assises régionales sur la question.
  • À Toulouse, la commune a fait entrer l’occitan dans les annonces du métro et elle s'est donné une charte municipale pour l’occitan.
  • Des départements, également, prennent des initiatives et ont des chargés de mission ou des services associés pour l’occitan (Pyrénées-Atlantiques, Dordogne, Aveyron, Tarn, Hautes-Pyrénées, Gers...)
  • Néanmoins, il n'y a qu'en Val d'Aran que l’occitan a un véritable statut et est employé par l'administration. C'est là, également, qu'il est le plus présent dans les rues et à l'école.

Amassada a Tolosa

Photo : « L'Amassada », conseil de développement de la région Midi-Pyrénées (photo : Région Midi-Pyrénées).

Conclusion

En 50 ans l’occitan est passé, même si le changement n'est pas complet et loin de l'être, de la rélégation à la promotion, de la honte à la fierté. Aujourd'hui, les jeunes qui l'apprennent en sont fiers. ÒC en deux lettres, contrairement à ce qui est dit aux cruciverbistes, n'est pas une langue morte.

De très nombreuses associations travaillent à la connaissance, la diffusion et la transmission. Des événements et des manifestations culturelles de toute sorte mettent en valeur les productions culturelles de tradition et de création. La littérature, la musique et la chanson gardent une forte vitalité. La place de l’occitan sur internet progresse.

Cependant, les changements, les moyens de transmission, les budgets restent trop faibles. La place de l’occitan reste bien, bien trop petite dans la communication normale, l'enseignement et les médias (seulement, par an, 51 heures de télévision et 563 de radio).

Manifestacion a Besièrs

« Dans Béziers ils manifestaient… » 17 mars 2007. Hommage à Lugan Bedèl. (Photo G. Mercadièr)

La question des langues régionales est à présent dans le débat public

À Toulouse, le 31 mars 2012, 30 000 personnes ont manifesté pour l’occitan, notamment pour un statut et une loi. Le nouveau président de la République française a confirmé par écrit qu'il ferait ratifier la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires et qu'il veillerait, avec les ministres concernés, à la définition d'un cadre légal pour les langues régionales. Le Comité consultatif pour la promotion des langues régionales et de la pluralité linguistique, installé le 7 mars 2013 par la Ministre de la culture avec un discours bien tourné, a fait un bon rapport. Remis le 15 juillet, il montre bien d'un côté la situation et de l'autre la nécessité de mesures spécifiques, de moyens et d'une loi...

Pourvu qu'il soit pris en compte ! Il serait bien temps. Il faut attendre aujourd'hui la « promotion », après avoir attendu en vain le « changement »...

Les députés ont voté le 28 septembre 2013, à la fin d'un bon débat et à une large majorité (361 pour sur 510 votants), pour la ratification de la Charte, mais la procédure de ratification sera longue et il n'est pas sûr qu'elle aboutisse. On ne peut pas s'empêcher de penser que si on avait voté une loi à la place du seul principe de ratification symbolique de la Charte... la loi serait peut-être passée... Il faut encore attendre ! Pouvons-nous encore attendre ?

Texte : Gilabèrt Mercadièr
Remarques, suggestions et corrections : Patrici Pojada, Sèrgi Carles, Bernat Molin, David Fabiè.