La suite de la chronique d'Isabelle Collomb, toponymiste au Congrès, dédiée à la toponymie occitane dans laquelle elle évoquera l’avancée de ses travaux et différents aspects et notions de cette discipline. Elle nous informera également de l’actualité de la recherche et des publications.
Les clôtures
Lorsque les limites ont été définies et marquées par des bornes, des clôtures de tous type sont implantées pour les marquer plus visiblement encore mais aussi pour les protéger.
Les clôtures son représentées par toutes les petites fermetures ordinaires, entre champs notamment, barrières mobiles, haies de clôture, qui peuvent au besoin, prendre des allures défensives.
L’idée de fermeture s’exprime souvent en toponymie par l’emploi de verbes ou de déverbaux. Ceux que l’on rencontre le plus fréquemment sont les termes clau et clavar, « clé » et « fermer ». On peut citer en exemples Clancines à Sénaillac-Lauzès (Lot) qui est un ancien Clausinas, Les Claux d’Alvignac (Lot) qui constituent un angle de terrain en limite des communes d’Alvignac, Rocamadour et Montvalent. Clauson, souvent graphié phonétiquement « clausou » est une forme diminutive en -on, dérivée de claus, participe passé de claure, qui a pu, selon Gabriel Azaïs1, dénommer non seulement de petits enclos, mais aussi, par extension, des cimetières. On trouve un lieu-dit Clausous à Frouzins (Haute-Garonne) qui marque la limite avec Seysses, Le Clausou à Douzillac en Dordogne, Les Clausous à Saint-Pargoire dans l’Hérault. Mistral2, voit pour sa part des cimetières dans les noms claus bas, grand claus, sant claus, ce qui pourrait être le cas de Clos Bas de Blars et de Cremps (Lot) par exemple.
Serrar et sarrar sont deux variantes du même terme de l’ancien occitan signifiant « fermer ». Le Camp Sarrat à Couzou (Lot) est un « champ clos », Lo Sarrat à Aste-Béon (Pyrénées-Atlantiques), un enclos.
Le verbe cénher, « ceindre », est présent non seulement dans Murcens à Cras (Lot) qui émane du latin ᴍᴜʀᴏ ᴄɪɴᴄᴛᴜꜱ, « ceint de murs » donc « fortifié », mais aussi dans le Pech Cendrié de Saint-Cernin (Lot) qui a probablement hérité son nom de sa situation en limite des communes de Saint Cernin, de Caniac-du-Causse et de Soulomès.
La même idée d’enceinte est exprimée par l’occitan entorn, « ce qui entoure » que l’on retrouve dans le nom de la commune de Mayrinhac-Lentour (Lot).
Un dernier verbe, barrar, est très représenté en toponymie occitane. Il peut tout aussi bien désigner des lieux clôturés (champs…) que des limites qui peuvent être naturelles (élévations, cours d’eau…) ou matérialisées par des constructions. On trouve des lieux-dits Camp Barrat dans le Gard, la Gironde, le Lot, le Lot-et-Garonne, les Pyrénées Orientales et le Tarn-et-Garonne, des Barrières un peu partout qui peuvent marquer des limites naturelles ou territoriales comme à Fauch (Tarn) où le lieu-dit fixe la frontière d’avec Ronel (aujourd’hui commune de Terre-de-Bancalié) ou à Alvignac (Lot) où les quartiers de Barrières Hautes et Barrières Basses sont en limite d’avec les communes de Rignac et Rocamadour. Barrar employé avec le suffixe collectif -ada a donné de très nombreux La Bar(r)ade et Les Bar(r)ades.
Cleda est un terme occitan qui est encore extrêmement vivant dans la langue et qui a, depuis fort longtemps, laissé des traces toponymiques. La cleda, c’est la barrière à claire-voie des champs et parfois aussi, métaphoriquement, une limite, comme c’est le cas pour le Col de la Clède en Ardèche.
Certaines limites sont dénommées de manière métonymique, c’est pourquoi les pieux qui ont servi à construire les premières palissades de fortification marquent parfois la présence de clôtures en toponymie.
Les termes les plus usités et les plus représentés en toponymie occitane pour désigner des pieux et, par là-même, la clôture que va permettre leur assemblage, sont pal et son dérivé palenc. On trouve un lieu-dit Pal Ficat à Fenouillet (Pyrénées Orientales), littéralement « pieu planté » ; Palat se partage entre les communes de Thémines et de Rueyres (Lot) ce qui explique son nom que l’on peut traduire par « palissadé » ; de même le Pech Palat domine Cours et Saint-Michel-de-Cours (Lot) et constitue donc une position défensive et de surveillance de premier choix.
Les haies, on le sait, ont de nombreux usages. Elles peuvent simplement délimiter un champ, un territoire mais avoir aussi parfois une application défensive et/ou dissuasive. La sèga, représente une haie vive, souvent faite de ronces. Segas de Beychac-et-Caillau (Gironde) marque la limite d’avec la commune de Saint-Sulpice-et-Cameyrac ; On la retrouve dans la Combe Segade en limite des communes de Lacave et de Meyronne (Lot) ou Seygasse à Vaillac en limite de Labastide-Murat (Lot).
Randa et randal sont deux formes issues du gaulois *ʀᴀɴᴅᴀ, « bord, frontière » et désignent une haie vive, souvent de ronces également, comme dans Le Randal à Rocamadour et Les Randisses à Donnezac (Corrèze), en limite d’Allassac. On retrouve également le sens de frontière dans le nom de la commune de Randan (Puy-de-Dôme).
La gòrça est une haie vive, et plus spécifiquement, celle qui sert à clôturer les champs. Xavier Delamarre3 indique que le sens de son étymon gaulois *ɢᴏʀᴛɪᴀ a glissé de celui de « haie » à celui d’« enclos » et Jacques Lacroix4 ajoute qu’il a pu servir à désigner des palissades défensives. Les Gorces à Rignac (Lot) ou Lagorce communes de Gironde et d’Ardèche en sont des exemples, comme Malagorce à Sabadel-Lauzès ou Maligorse à Morlhon-le-Haut, « mauvaises haies » ou « haies dangereuses ».
(à suivre)
Isabelle Collomb
1 AZAÏS, Gabriel. Dictionnaire des idiomes romans du midi de la France. – Haut et Bas Languedoc, Provence, Gascogne, Béarn, Quercy, Rouergue, Limousin, etc. Montpellier : Bureau des Publications pour la Société pour l’Etude des Langues romanes, 1878. 3 volumes.
2 MISTRAL, Frédéric. Lou Tresor dóu Felibrige ou Dictionnaire Provençal-Français embrassant les divers dialectes de la Langue d’Oc moderne. Raphèles-lès-Arles : Culture provençale et méridionale, Marcel Petit, 1878. 2 tomes.
3 DELAMARRE, Xavier. Dictionnaire de la Langue gauloise : une approche linguistique du vieux celtique continental. Paris : Errance, coll. Hespérides, 2001. p. 154.
4 LACROIX, Jacques. Les noms d’origine gauloise. La Gaule des Combats. Paris, Errance, 2003. p. 143.