La suite de la nouvelle chronique d'Isabelle Collomb, toponymiste au Congrès,dédiée à la toponymie occitane dans laquelle elle évoquera l’avancée de ses travaux et différents aspects et notions de cette discipline. Elle nous informera également de l’actualité de la recherche et des publications.
« L’idée de finitude
Nous pénétrons aujourd’hui dans le champ sémantique de la finitude, qui inclut les terres les plus reculées, les confins, appartenant encore au territoire qui les nomme, mais aussi les limites elles-mêmes, considérées en tant que telles, souvent matérialisées par la présence de bornes.
L’un des termes les plus répandus en toponymie occitane pour désigner une extrémité, qu’elle soit oronymique, territoriale ou hiérarchique est le terme cap. C’est dans le sens d’« extrémité » que nous l’envisageons ici.
Nombreux sont les toponymes de type Cap de… qui renvoient à :
- d’autres toponymes, comme Cap de Poujols à Cieurac (Lot) qui fait référence à Poujols de Flaujac-Poujols, Cap de Ferrières à Ferrières de Limogne-en-Quercy (Lot)...
- la végétation présente et l’usage des lieux qui en découle avec Lou Cap de la Garenno à Lalbenque (Lot) ou Cap du Frau à Montfaucon (Lot), Cap de Bos à Berthez (Gironde) qui délimite une zone boisée...
- la limite qu’ils désignent comme Cap Nau au nord de Cieurac, en limite de la paroisse de Saint-Simon (Lot) ; Cap de la Vielle à Cierp-Gaud (Haute-Garonne) qui nomme un faubourg de la ville ; Cap de Batut à Cajarc est un « bout de chemin » en cul-de-sac, Cap-Bat à Galiax (Gers) qui nomme le « bout de la vallée », Capet à Saverdun (Ariège) dont le nom, sous une forme diminutive, renvoie à la limite d’avec Brie…
Le terme talon possède, en toponymie occitane (et tout particulièrement en Quercy) très souvent le sens de « bout, limite », comme on peut l’employer pour parler de « ce qui reste de quelque chose », « le bout, la fin » (un talon de jambon par exemple). On peut donner comme exemples Le Talou à Espédaillac (Lot) qui marque la limite entre Espédaillac et Blars, Le Talou à Marcilhac-sur-Célé (Lot) qui nomme la limite entre Marcilhac, Larnagol et Saint-Chels ou encore celui de Saint-Chels qui nomme celle entre cette commune, Brengues et Gréalou. Mais aussi, ailleurs, Le Talon de Thorame-Basse (Alpes-de-Haute-Provence) et le Col du Talon situés en limite de Prads-haute-Bléone, Talon de Landerrouat (Gironde) qui jouxte Bois de Talon, commune de Savignac-de-Duras (Lot-et-Garonne) ou Talon à Lanne-en-Baretous (Pyrénées-Atlantiques) en limite de Montory.
Cette représentation toponymique de la finitude ne saurait être complète sans évoquer le mot confinh, « confins » très répandu dans la toponymie et l’anthroponymie occitanes sous diverses formes, avec ou sans suffixation : Les Couffins à Flavin (Aveyron) en limite d’avec Trémouilles, Les Coufines à Foissac (Gard) tout proche de Collorgues, Le Coufinhal à Argence-en-Aubrac (Aveyron) jouxtant Laguiole, Les Couffinières à Firmi (Aveyron) en limite d’Auzits, Coffinier à Belmont-Sainte-Foi (Lot) aux confins de Vaylats…
Les frontières
Les termes qui désignent les frontières à proprement parler et qui ont laissé des traces toponymiques sont très nombreux et souvent anciens. Les Gaulois nous ont notamment laissé *icoranda ou *igoranda, composé en -randa, « bord, limite », qui est connu pour être à l’origine des lieux nommés Ingrandes ou Eygurandes. Ce terme gaulois pourrait aussi être à l’origine de certains lieux-dits Gironde, comme l’écrivait Pierre Barrière au sujet de celui de Cours (Lot)1. Il remarque que le lieu est non loin d’un autre nommé les Cadourques, et que cette proximité semble indiquer le passage d’un pays à un autre. Il pourrait en être de même pour le Château de Gironde de Saint-Parthem (Aveyron) qui domine le Lot et fait face à Almont-les-Junies et Flagnac ; Gironde de Lacapelle-Cabanac (Lot) à l’exacte limite de Mauroux ; Gyronde de L’Argentière-la-Bessée (Hautes-Alpes) qui jouxte la commune des Vigneaux ; Girondes de Belin-Beliet (Gironde) aux abords immédiats de Saint-Magne. À La Madeleine, commune de Capdenac-Gare, où la rivière Lot est la frontière naturelle entre les départements de l’Aveyron et du Lot, trois communes se rencontrent : Causse-et-Diège dans l’Aveyron, Faycelles et Capdenac dans le Lot. Il y a là un pont aux abords duquel la Maison de Gironde fut jadis un péage comme l’écrit l’historien Saint-Marty2.
Le germanique marka, « frontière » nous a laissé marga et marcha qui désignent ce que l’ancien français nommait aussi « marche », une « limite », une « frontière ». Les exemples issus de ces termes sont nombreux à commencer par l’ancienne province de la Marche. On citera Margues qui est constitué d’une pointe de terre qui s’enfonce jusqu’à l’intersection des quatre communes de Puyjourdes, Saint-Jean-de-Laur (Lot), Salvagnac-Cajarc et Martiel (Aveyron) ; Marguerite à Cambes qui émane sans doute de marca + ritu- (terme gaulois nommant un gué), compris ici au sens de « passage », au regard de la proximité du lieu-dit avec la limite entre Cambes et Boussac (Lot). On retrouve cette même étymologie dans La Margeride, massif montagneux du Massif central aux limites des départements du Cantal, de la Haute-Loire et de la Lozère. C’est encore d’un terme composé avec marca, « comarca » que vient Coumarques de Montfaucon (Lot) qui nomme la limite des territoires de cette commune, d’avec Séniergues et Vaillac.
(à suivre) »
Isabelle Collomb
1 Pierre Barrière : « À propos des voies antiques des Cadurques. Organisation et circulation ». In : Revue des Études Anciennes. Tome 54, 1952, n°1-2. pp. 102-108.
2 L. Saint-Marty. Histoire populaire du Quercy. Des Origines à 1800. Cahors : Coueslant, 1920, p. 18.