Il y a du nouveau dans la Letra de ligason ! Isabelle Collomb, toponymiste au Congrès, rédigera désormais tous les mois une nouvelle chronique dédiée à la toponymie occitane dans laquelle elle évoquera l’avancée de ses travaux et différents aspects et notions de cette discipline. Elle nous informera également de l’actualité de la recherche et des publications.
« C’est dans un sens large et lié à la perception qu’ont les individus de la « limite », de la « frontière » que l’on envisagera ici cette notion. La toponymie, et la vastitude des thématiques onomasio-logiques qu’elle recouvre, offre dans ce domaine une palette de vocabulaire lié à des champs sémantiques divers, particulièrement riche et variée.
Toute limite effective est bonne à nommer un lieu, mais tout lieu donne aussi matière a être limité : un champ, un domaine, une paroisse, une seigneurie au Moyen Âge, un comté ou un duché jusqu’à la Révolution, un pagus avant tout cela…
Ils constituent des frontières le long desquelles on place des bornes, des clôtures, des croix, des gibets, des fortifications pour surveiller l’autre et défendre son territoire sur lequel on peut passer moyennant un droit de péage.
Les toponymes qui font référence à une clôture sont nombreux et l’occitan use de plusieurs termes pour les mentionner ; ils peuvent renvoyer à des clausures de petits espaces comme des champs, pas toujours pérennes, parfois naturelles (c’est le cas des haies qui peuvent aussi jouer un rôle défensif) comme à des murs d’enceinte dont les objectifs sont de plus grande ampleur.
D’autres toponymes font explicitement référence à des « frontières », des limites proprement dites pourrait-on dire, qui dénomment souvent les marges de territoires assez étendus, matérialisées, là où le besoin s’en fait sentir, par des bornes.
Nous entamerons ce périple qui nous mènera jusqu’au-delà des limites, par leurs abords, c’est à dire la toponymie occitane des bordures et des angles.
Broa et Bro sont des termes de même sens et étymologie (le gaulois *brog(i), « territoire, région, frontière, marche ») qui ont connu une très grande expansion toponymique en pays occitanophones. Ils portent le plus souvent le sens de limite juridique, dès le Bas Moyen Âge.
On les rencontre dans certains Labro, Labroue, Le Broual, Lasbros…
La riba occitane possède, comme la « rive » française, le sens de « berge d’un cours d’eau », mais également celui de « lisière, bord » dont certains des toponymes se font l’écho : Ribeyrols à Lalbenque (Lot), Ribeyrol à Aurières (Puy-de-Dôme), La Rive à Verniolle (Ariège), Pech Larive, à Saint-Cirq-Lapopie (Lot)…
L’« orée » se retrouve sous la forme occitane oralha que Mistral donne pour « orée, bord d'un champ, lisière d'un bois » que l’on reconnaît dans Belle Oreille à Belfort-du-Quercy (Lot), ou sous la forme aurièra dans Laurière à Saint-André-de-Najac (Aveyron) par exemple.
De même sens, l’occitan òrle où l’on reconnaît l’« ourlet » français (de même étymologie), qui a sans doute donné son nom au Mas d’Orlon à Saint-Cirq-Lapopie (Lot), à Ourly à Beaumontois en Périgord (Dordogne) ou encore à Ourlette à Saint-Laurent-les-Bains-Laval-d'Aurelle (Ardèche).
Le terme le plus évident pour désigner un « coin de terre » est angle dont les graphies française et occitane sont les mêmes. On le retrouve en toponymie dans L’Angle à Cénevières (Lot), Anglard à Saint Martin-de-Vers (Lot) construit avec le suffixe locatif -ar, alors que Langlade à Lavergne lui a préféré le suffixe collectif -ada.
Le terme cunh, « coin » est lui aussi bien représenté en toponymie occitane sous des formes graphiques et phonétiques variées. Tout comme angle, il peut prendre le sens de « limite » de seigneurie, de paroisse, de domaine, de champ… C’est également le cas en Quercy, où l’on trouve Le Cun à Fontanes-du-Causse, à Livernon, à Reilhac, mais aussi Les Connes à Rocamadour (tous dans le Lot), Cougne et Cougnet dans les Alpes Maritimes...
Le terme còrn, qui n’a plus en occitan contemporain que le sens de « coin », avait aussi en occitan médiéval celui de « bout, extrémité, limite ». C’est donc avec ce double sens qu’on le retrouve en toponymie comme dans Lacornière de Bach (Lot), Cornière à Gourdon (Alpes-Maritimes), Cornières à Sénestis (Lot-et-Garonne) ou encore Les Cournières à Peyrecave (Gers) par exemple.
Enfin, on connaît bien le terme occitan caira qui porte le sens de « roche, rocher ». Caire émane de la même racine avec celui d’« angle », « coin », puis de « pierre angulaire » ce qui explique que le mot ait aussi servi à désigner des fortifications. Les différents sens de caire se mêlent au point qu’il est souvent délicat de les différencier avec certitude, d’autant que les lieux situés en limite territoriale sont privilégiés pour installer des positions défensives, plus ou moins fortifiées. On citera trois exemples lotois : Le Cayré d’Assier qui constitue la limite entre Assier, Issepts et Reyrevignes, celui de Saint-Simon entre les territoires de Saint-Simon, Théminettes et Sonac ou encore celui de Sénaillac-Lauzès en limite de Saint-Cernin.
(à suivre) »
Isabelle Collomb