L'enfant qu'a été Serge Carles n'était pas du tout un petit sauvage ! Au contraire, il a été un des derniers rejetons d'une culture, d'une époque, avec ses façons de travailler et de vivre, ses codes, ses rites, sa langue.
Le monde et son monde, celui des années 1950-60 était en train de changer dans tous les domaines. Le vieux Rouergue se modernisait, s'ouvrait et plongeait dans la diglossie. Le « patois » était encore majoritaire mais le français gagnait petit à petit.
Nous ne manquons pas d'autobiographies, de descriptions de cette époque, mais ici Serge Carles porte un regard très personnel et original sur sa vie et celle de son monde. Sans nostalgie ni archaïsme, avec réalisme et une précision nourrie par une mémoire sélective mais exceptionnelle et fidèle des noms des gens, des lieux, donne des précisions minutieuses. « Serjon » a un regard très personnel aussi car le fil directeur de son souvenir, la question qui revient continuellement est sa langue, le « patois » aimé, qui est aussi sa différence assumée, sans aucune honte, déjà revendiquée même si certains lui disent « mais quand parleras-tu français ?». Nous voyons aussi comment le petit sauvage qui nous dit « je ne parle pas français avant d'aller à l'école » « s'apprivoise » avec l'école, le collège, les sorties et les livres, s'ouvre de plus en plus, est curieux, se plaît à découvrir et à apprendre, apprécie la diversité, sans jamais renier sa langue. Serjon a une grande sensibilité, aime ses gens qu'il connaît fort bien, souffre avec eux, pleure. Ses émotions donnent du poids et de la profondeur humaine à son témoignage.
Son récit est à la fois ethnographique, sociolinguistique, reflet d'un temps perdu vécu et finalement bien littéraire. Il est du niveau de ceux de la collection « Terres humaines » qu'a fondée le géographe et ethnologue Jean Malaurie.
L'auteur manie une langue occitane du cru, familiale, riche, qui se nourrit par moments des grands auteurs du Quercy, du Rouergue mais aussi de plus loin, sans éviter, volontairement, quelques gallicismes socialisés pour ne pas décourager certains lecteurs de son pays. La syntaxe, acquise très vite dans la pratique quotidienne avec de très bons « locuteurs naturels », est tout ce qu'il y a de plus pure, exemplaire. Élèves, étudiants, professeurs et linguistes peuvent s'abreuver à la langue de ce récit. Serge Carles nous dit aussi que « la langue vécue dans un endroit porte la dignité de toute la langue occitane. Elle pousse à la curiosité pour les parlers voisins, du plus proche au plus lointain ».
Son goût d'enfant pour le « patois » d'un côté et, de l'autre, pour l'école, les études, les langues n'est pas contradictoire et constituera le futur instituteur, militant occitan, conseiller pédagogique, traducteur et écrivain. L'occitan n'est pas l'entrave, l'empêchement que l'on croyait. Serge Carles, dans son livre, a lié ses langues, chacune de son côté, avec un lexique. Elles le sont aussi dans sa vie.
L'enfant occitan et résistant sans le savoir est devenu occitan et résistant conscient. Pourvu qu'il démarre dès maintenant la suite. Nous en avons besoin parce que son vécu de l'école normale jusqu'à aujourd'hui sera plus que le sien. Son témoignage aidera à connaître et comprendre l'évolution de la société et l'histoire de l'occitanisme.