Le 26 mai Éric Gonzales nous a quittés, écrivain, linguiste et membre du Conseil linguistique du Congrès.
Le Conseil d'administration du Congrès permanent de la langue occitane présente ses condoléances à sa famille et aux proches. Nous vous partageons ci-contre l'hommage que lui dédie Serge Javaloyès :
Vendredi dernier, tu t'en es allé au pays des mystères, près de Guéret en Creuse où tu t'étais installé il y a trois ans. La mort est venue te chercher trop tôt alors que tu pensais vivre jusqu'à Noël comme tu me l'avais dit, il y a peu. C’est vrai, tu savais tout. Néanmoins, tu avais confié ton âme à Dieu pour faire face à l’inexorable. Tu étais né à Pau en 1964 dans une famille modeste, habitants de Gelos. Après la mort trop précoce de ta maman, tu es élevé par ta tante et tes grands-parents locuteurs du béarnais, sur lequel tu travailleras durant plus de 45 ans sans interruption.
Petit garçon, déjà, tu remplis cahiers sur cahiers de mots, expressions idiomatiques recueillis ici ou là, lors des rencontres avec ceux dont c’est la première langue. Tu deviens vite un collégien et lycéen brillant. Ton terrain de jeux et d'aventures est la Cité de la Tannerie à Gelos. Ce lieu d'herbes sauvages, d’épineux et d'arbustes près du rapide gave de Pau, en vis-à-vis du château de Pau, sera consacré par L’òrra istoèra d’un hilh de Gelòs (1), ton premier roman, grand prix de littérature occitane Jean Boudou en 1997.
Ce livre marque la littérature gasconne par son originalité et sa modernité. Ce roman polyphonique, accompli, va motiver grand nombre d'écrivains en herbe — dont je suis un petit, alors, à qui tu demandes de se lancer pour ne pas être seul à faire des romans en occitan — à se lancer sur le sentier abrupt de la création littéraire. C'est un véritable coup de tonnerre dans le ciel de tes maîtres, Miquèu de Camelat, Simin Palay, Julien de Casaboune et Gilbert Narioo, que de nombreux réactionnaires de tout poil dénonceront. D'autres livres arrivent ensuite, Isabèu de la valea (2), Las Tortoras (3), Dazibao (4), Entermiei lordèras (5), Arantxa (6), des traductions dont Hygiène de l’assassin (7) d’Amélie Nothomb ou L’Étranger (8) d’Albert Camus. Tu es un écrivain reconnu par la communauté des écrivains de toute l'Occitanie.
Tu es certifié d'occitan-langue d'oc et tu l’enseignes des années durant. À partir de 1996, tu es rédacteur en chef de la revue Reclams de l'Escòla Gaston Febus jusqu'en 1999. Tu es, il est vrai, un auteur secret, consciencieux, discret. Tu n’aimes pas les lumières de la reconnaissance et il faut souvent que je t’interpelle pour que tu fasses ce qu'il faut pour faire valoir ton œuvre. Il est vrai que tu es fragile : ton enfance douloureuse te tient éloigné du monde. Et pourtant, tu te le connais comme ta poche, le monde entier, extraordinairement bien.
Il y a vingt ans, tu te mets à constituer un corpus linguistique et littéraire gascon exceptionnel. Depuis tout jeune, tu es un ouvrier infatigable à la compétence linguistique exemplaire. Ta volonté têtue était de créer un dictionnaire et une grammaire référentielles de l'occitan-gascon. Hélas, cette saloperia de cancer t'a arrêté net.
Vendredi dernier, lorsque les médecins de la clinique où tu étais hospitalisé m'ont annoncé ta mort brutale, j’ai tout de suite compris que nous perdions, avec toi, un écrivain de qualité, un linguiste remarquable dont le Béarn, la Gascogne et l'Occitanie se rendraient vite compte combien tu comptais pour la littérature et la langue occitane de la Gascogne. Que le royaume de Dieu auquel tu croyais veuille bien t'accueillir. Là-haut, ils savent qui tu étais et ce que tu as accompli.
Adieu, Éric.
Serge Javaloyès
écrivain
(1) éd. IEO-PerNoste, 1996 ; éd. Reclams, 2021, (2) éd. Reclams, 2000, (3) éd. Reclams, 2001, (4) éd. Per Noste, 2003, (5) éd. Per Noste, 2007, (6) éd. Reclams, 2014, (7) éd. Per Noste, 2009, (8) éd. Reclams, 2013.